Environnement

Analogies de destins d'îles

"La disparition d'origine écologique, du Groenland Viking et la lutte menée par l'Islande trouvent leur pendant dans la disparition d'origine écologique des sociétés de l'île de Pâques, de Mangareva, des Anasazis, des Mayas et de bien d'autres sociétés préindustrielles, écrit Jared Diamond, dans son ouvrage "effondrement"... Pour lui, "l'histoire de l'Islande et du Groenland vikings sont plus complexes encore et donc plus riches d'enseignements que l'histoire de l'île de Pâques."

Par Anne-Marie Ducroux

D'une île à l'autre, des analogies de destins. De destins écologiques souvent. De destins politiques parfois. Dans tous les cas, des choix à faire. En Islande, tous les signes de beauté comme de fragilité sont là. Des ressources halieuthiques aux énergies proposées par la nature, de la forêt aux glaciers : tout est ou fût illusion d'abondance, de gratuité donc d'éternité de la nature.

Déforestation

A la différence de l'île de Pâques, pourtant, pour appréhender l'histoire de cette île singulière, l'Islande, nous disposons d'écrits par les civilisations elles-mêmes. Comme pour atteindre l'île de Pâques, il fallut d'abord accomplir des exploits maritimes hors du commun  :  ce sont des navires égarés qui découvrirent l'Islande vers 870. Jusqu'au Moyen Age, les Scandinaves ne possédaient que des bateaux à rames sans voiles. "La plupart des Islandais sont les descendants directs des hommes vikings et de leurs femmes celtes qui furent les premiers colons de l'Islande."[…] "Au début de la colonisation de l'Islande, un quart du pays était couvert de forêts...Environ 80 % de ces forêts originelles disparurent au cours des premières décennies" […] "actuellement 96 % des forêts ont été déboisées".  L'environnement de l'Islande est effectivement marqué par sa situation au dessous du cercle arctique et à la jonction des plaques continentales américaine et eurasiatique. Le feu des volcans, la glace, l'eau et le vent... "C'est l'interaction des ces quatre élements qui fait que l'Islande est à ce point prédisposée à l'érosion". Il ne reste aujourd'hui après déforestation qu'1.3 % de forêts. Et c'est une des premières choses qui frappent sur l'île : un pays et des espaces sans arbre. Jared Diamond confirme : "depuis le début de la colonisation humaine, la majeure partie des arbres et des végétaux initialement présents a été détruite et environ la moité des sols ont été érodés par l'océan."

Erosion

"Six colonies vikings de l'Atlantique nord ont constitué 6 expériences parallèles d'établissement de sociétés ayant toutes les mêmes origines ancestrales. Les colonies des Orcades, des îles Shetland et des îles Feroé perdurèrent pendant plus de mille ans, sans que leur survie ne soit jamais sérieusement remise en question ; la colonie islandaise, elle aussi, persista mais eut à surmonter la misère et de graves difficultés politiques.

Ces évolutions différentes sont très clairement liées aux différents environnements des colonies, marquées par quatre variables : les distances à parcourir en mer ou la durée de la traversée en bateau entre ces colonies et la Norvège et la Grande Bretagne ; la résistance qui fut opposée par les indigènes lorsque les terres étaient habitées ; le potentiel agricole qui dépendait en particulier de la latitude et du climat local ; et la fragilité de l'environnement (propension des sols à subir une érosion et risque de déforestation notamment)" explique Jared Diamond.

"Des difficultés surviennent lorsque les pratiques agricoles qui étaient celles des immigrants dans leur pays d'origine ne peuvent être transplantées sur leur nouveau territoire"[…] "Les colons de cette terre furent trompés par les sols fragiles et mal connus de l'Islande en se référant à leurs connaissance des sols résistants et qu'ils connaissaient en Norvège et Grande Bretagne. Les sols de l'Islande se forment en effet plus lentement et s'érodent beaucoup plus vite. Résultats, ils ont puisé dans un capital de sols et de végétation qui s'étaient accumulé sur dix mille ans et qu'ils épuisèrent en quelques décennies."

"La combinaison de sols fragiles et d'une lente croissance végétale crée en Islande un cycle favorable à l'érosion : une fois que le couvert végétal a disparu, brouté par les moutons ou détruit par les agriculteurs, et une fois que l'érosion des sols a commencé, les végétaux ont du mal à se réimplanter pour venir à nouveau protéger les sols, si bien que l'érosion a tendance à se propager".

Pour Jared Diamond, la déforestation est plus grave : 
. sur les îles au climat sec que sur les îles au climat humide
. sur les îles au climat froid et situées à une latitude élevée que sur des îles au climat doux situées à une latitute équatoriale
. sur les îles où les cendres ne peuvent être dispersées dans l'air, que sur les îles où cela est possible
. sur les îles qui se trouvent loin du panache de poussière d'Asie centrale que sur les îles qui en sont proches
. sur les îles dépourvues de makatea* que sur les îles qui en sont faites  (*coralliennes)
. sur les îles de faible altitude que sur les îles de haute altitude
. sur les îles lointaines que sur les îles ayand des voisins proches
. sur les petites îles que sur les grandes îles.

" Dans la civilisation viking, les décisions cruciales étaient prises par les chefs qui cherchaient à accroître leur pouvoir personnel, quitte à ce que les décisions aillent à l'encontre des intérêts de l'ensemble de la société au moment présent et pour la prochaine génération. Comme dans le cas des sociétés pascuane et maya, ces conflits d'intérêt entre les chefs et le reste de la société eurent de lourdes conséquences."

Pourtant ce fut le même pays qui créa, dès 930 ce que l'on nomme le plus vieux parlement du monde, l'Althing, une assemblée qui réunissait annuellement en plein air les 36 clans de l'île pour y débattre de la loi commune, sans système exécutif, ce qui fait décrire l'Islande alors comme "là-bas ils n'ont point de Roi, seulement la Loi". L'application des décisions ainsi prises revenaient à chaque clan.

Isolement, partition de l'île entre clans, sols volcaniques, mince couche arable, déforestation, surpâturage de moutons, érosion......une situation très proche de celle que connut l'île de Pâques, par bien des aspects.

Avec des extraits librement choisis du livre de Jared Diamond

photo : Le voyageur du soleil, bateau viking par Jon Gunnar Arnason, 1990, Reykjavik