Une situation extrême

Islande, l'effondrement d'un système

Une île à part à l'extrême nord de l'Europe : l'Islande. Son destin insulaire la rapprochait, comme l'île de Pâques de bien des problématiques du développement durable, notamment celles d'un espace limité, à forte déforestation et forte érosion, d'un tourisme croissant. Son histoire économique récente transcende désormais l'analyse de sa situation environnementale spécifique, pour en faire désormais un exemple de l'effondrement possible d'un pays pourtant cité, juste avant, en modèle de développement économique. Ou alors d'une reprise ? ...à partir d'un modèle futur quasi entièrement basé sur les ressources de la nature qu'il lui faudra donc veiller à rendre "durables"...
Panneau islandais ©Régis Fialaire

Où l'on voit que les nations érigées en modèles économiques peuvent pourtant s'effondrer... et se relever ?

Par Anne-Marie Ducroux

En tête de classements divers, l'Islande était montrée en exemple pour sa qualité de vie, ses énergies propres, son environnement, son indice de développement humain... Des Sénateurs français partis en délégation en 2006**, n'hésitaient pas à écrire à son propos, de manière particulièrement clairvoyante : une "situation économique solide", à décrire alors le système bancaire islandais au rang "des raisons d'un succès", avec un titre de rapport prometteur d'inspiration pour la France : "développement économique et protection de l'environnement, une symbiose réussie" !

Quelques mois plus tard, le gouvernement islandais démissionnait, l'Islande cherchait littéralement à éviter la faillite, les Islandais perdaient 30 % de leur revenu et une partie de leur patrimoine entre 2007 et 2010. Les banques, secteur phare du pays, se révélaient de véritables bulles financières ayant perdu toute relation réelle avec le PIB islandais. Nationalisation de banques, inflation, chomage, fermeture de son marché boursier, l'Islande symbolisait l'éclatement d'un développement financier risqué et des effondrements qui s'en suivirent.

Lorsque les agences de notation internationales délivraient les meilleures notes aux banques islandaises, cette île semblait effectivement à part. On n'hésitait pas à parler de miracle économique et le développement du secteur bancaire devait alors assurer au pays son indépendance du secteur primaire. Retournement de l'histoire, la gestion du secteur bancaire rend désormais le pays totalement dépendant des remboursements à effectuer, pour des décennies.

De fil en aiguille, la faillite d'une banque est devenue en effet celle d'un pays. L'Etat a dû se substituer en 2008 à la banque Icesave et s'endetter pour rembourser ses clients. Trois banques ont dû être nationalisées en une semaine. Les parlementaires votent alors une loi autour du plan de remboursement mais sont mis en échec par les Islandais eux-mêmes, lors du premier référendum tenu depuis leur indépendance : en mars 2010, ils rejettent à plus de 93 % le plan de règlement de cette dette de près de 4 milliards d'euros, qui consistait à faire payer 48 000 euros par ménage islandais en lieu et place d'une entreprise privée pour sa gestion. Les Islandais déclaraient : "nous votons pour vous, c'est nous qui avons le pouvoir en démocratie" ; "on exige que le capital remboursé soit diminué et que les banques remboursent et pas seulement les Islandais".

L'Islande doit trouver alors de nouveaux accords avec la Grande Bretagne et les Pays Bas, notamment et se tournent vers la Russie, le FMI, l'Europe. Car alors, le gouverneur de la banque centrale islandaise serait soudainement devenu favorable à l'entrée de son pays dans la zone euro. L'Islande qui ne faisait pas partie de l'Union européenne a déposé sa candidature en juillet 2009. La Commission européenne a recommandé l'ouverture de négociations en février 2010 pour son entrée dans l'Union européenne. Solution envisagée, en situation de crise, puis boudée en situation de reprise. Les Islandais ne seraient qu'un quart à souhaiter cette adhésion. Cette candidature a été gelée par l'Islande elle-même en 2013, à l'issue d'élections internes, puis retirée en 2015.

Un accord de 3.9 milliards d'euros, (environ 40 % du PIB islandais), négocié par la coalition au pouvoir en 2008,  envers la Grande Bretagne et les Pays Bas mis à contribution pour leurs ressortissants spoliés par la banque islandaise, est rejeté une deuxième fois en avril 2011, à l'issue... d'un référendum mobilisant une participation à 70 %. A nouveau, les habitants de l'île refusent de payer en lieu et place des banques responsables. Les partisans du non indiquent : "il n'y a jamais eu obligation légale pour les citoyens islandais d'assumer les pertes d'une banque privée". De son côté, le ministre néerlandais des finances a indiqué : "le temps des négociations est terminé, l'Islande demeure dans l'obligation de rembourser, la question relève désormais des tribunaux" sous l'autorité de l'AELE Association Européenne de Libre-Echange.

 

Mode de vie

En Islande, on est frappé d'emblée par un mode de vie "à l'américaine" dans une histoire et des paysages qui ne le sont pas. Les centres de vie semblent situés dans les stations service où défilent automobiles et 4X4. La vie proche de la nature semble souvent loin, même si celle-ci est géographiquement proche. Impossible de consommer par exemple des poissons frais dans les nombreux ports de l'île, quand la nourriture importée est onéreuse.

Les Islandais semblaient en convenir quelques semaines après l'effondrement du pays : "on a tous profité de la folie des banquiers, 4X4, grands écrans TV, nous avons été prévenus des spéculations, mais personne n'a écouté, tout le monde a été étonné alors que tout le monde savait que cela ne pouvait pas durer".

"Partout on entend des gens dire : nous devons changer notre mode de vie" rapporte un pasteur de Reykjavik.

Les Islandais ajoutent : "nous vivons actuellement la plus grande vague d'immigration depuis le XIXe siècle. Les enfants vont vivre et travailler ailleurs. Des chantiers immenses se sont arrêtés, 35 à 45 % des ouvriers du bâtiment ont perdu leur emploi".

 

Gouvernance et extrêmes négligences

Un rapport d'enquête parlementaire a été commandé fin 2008, afin d'analyser et rendre publiques les raisons de la chute des banques islandaises entraînant le pays avec elles. Le "rapport Vérité" est sorti en avril 2010 après l'audition de 147 personnes. Ce rapport très attendu, compte tenu du traumatisme pour le pays de cette chute brutale, sera finalement rendu public, et pour la catharsis sera lu par 45 comédiens au Théâtre de Reykjavik, qui se relaieront non stop jour et nuit, pendant 7 jours, à réception du fameux rapport pour une lecture gratuite et publique, retransmise dans tout le pays par Internet.

Le rapport Vérité établit en 2300 pages des conclusions accablantes pour les dirigeants du pays et des banques, qui ont fait preuve selon le rapport "d'extêmes négligences", de dissimulations d'informations au gouvernement et à l'opinion et ont abusé de leurs positions pour bénéficier de "prêts inappropriés". Un membre de la commission parlementaire dédié explique : "en sept ans, les trois banques sont devenues vingt fois plus grosses et c'est la principale raison de la chute de l'économie". Un autre ajoute : "les principaux acteurs n'avaient ni la compétence, ni l'expérience pour amortir les dégâts causés par l'effondrement de notre système économique".

En Islande, on entend alors : "ce que nous devons améliorer c'est la gouvernance de la politique et de l'économie. Elles avaient des liens trop étroits".

En réaction aux conclusions du rapport Vérité, le Premier ministre Johanna Sigurdardottir alors a confirmé cette proximité, proche de la consanguinité : " les banques privées ont échoué, le système de surveillance a échoué, les hommes politiques ont échoué, le gouvernement a échoué, les médias ont échoué et l'idéologie du marché libre a échoué" a-t-elle déclaré pour ajouter : "la démocratie, la force du droit et la coopération internationale sont les meilleures armes pour le redressement du pays ". Elle devait assumer un plan de rigueur du FMI, les dettes et redresser l'économie.

Il serait intéressant de relire à l'aune de cette analyse, la stratégie de développement durable adoptée par l'Islande, pour la période 2002-2020 intitulée "le bien être de demain", dont l'OCDE indiquait "qu'elle est conçue pour être un document dynamique répondant à l'évolution des circonstances et des priorités".

Ce sera plus que jamais d'actualité...
 

e-constitution

Il aura fallu une crise sans précédent pour faire naitre de nouvelles aspirations et surtout leur donner droit de cité dans l'espace public. Afin de repartir sur d'autres bases, l'Islande a ainsi décidé, en 2011, de revoir sa Constitution. Mais l'innovation est de ne pas en réserver la rédaction aux représentants du peuple islandais, mais de l'ouvrir aux citoyens par l'intermédiaire des réseaux communautaires tels que Facebook ou Twitter, Flickr ou YouTube. Le processus a commencé en avril 2011. L'Assemblée publia chaque semaine les travaux en cours. Ainsi Constitution actuelle et projet de la Constitution à venir furent suivis quotidiennement par les internautes qui le souhaitent. Le texte obtenu ne devait plus être modifié par les parlementaires mais soumis pour avis final aux citoyens, par référendum. L'un des membres du Conseil constitutionnel soulignait alors auprès du Guardian que c'est «la première fois qu'une Constitution est en cours de rédaction essentiellement sur Internet. Les citoyens voient la Constitution prendre forme sous leurs yeux... C'est très différent de l'ancienne époque où les constituants trouvaient qu'il était parfois préférable de se trouver hors de portée des remarques». Il faut préciser qu'en 2010, 10.5 % des Islandais indiquaient avoir confiance dans leur Parlement, pourtant de constitution historique : on le décrit généralement comme le plus ancien parlement européen. La situtation politique demeure instable depuis 2008.

En France, le Conseil constitutionnel français l'ouverture de sa saisine à des citoyens est toute récente encore, le Parlement tient encore souvent à l'écart les citoyens des décisions de sa gestion, d'attribution du bugdet, du contrôle de sa déontologie, etc, cette initiative innovante est un signal dont il faudra analyser résultats et contenu, capacité à restaurer la confiance des citoyens dans le cadre partagé et enfin son essaimage vers d'autres nations d'une participation effective et directe des citoyens.
 

Quelques données clé

340 000 habitants - 103 000 km2 : L'Islande a la plus faible densité d'Europe avec 3.01 habitants par km2. Plus de la moitié vivent dans la capitale Reykjavik.
1.3 millions de touristes en 2013, 1.8 en 2016 (afflux cinq fois supérieur au nombre d'habitants) créent une forte pression sur les milieux naturels.

La route n°1 est la route principale qui fait le tour de l'île et relie la plupart des villes de l'île. L'île compte aussi près d'une centaine d'aéroports.

Elle est devenue indépendante du Danemark depuis 1944. Non membre de l'Union européenne et membre de l'OCDE.

Située sous le cercle arctique, les glaciers recouvrent 11 % de l'île. L'islande se situe entre les plaques américaine et eurasiatique, ayant créé une activité volcanique et géothermique intense. Son environnement est propice à la production d'énergie renouvelable : l'électricité provient principalement de la géothermie et de l'énergie hydraulique. Les agriculteurs ne sont plus que 4 %, les terres arables représentent moins de 1% de l'île. L'île a été fortement déforestée, par les pratiques des colons, l'implantation de moutons et le climat ; la forêt n'occupe plus qu'1.3 % de l'espace. La pêche est un des supports de l'économie, dont la chasse à la baleine souvent décriée et qui représenterait pour l'Islande plus d'un quart des prises de baleines. L'Allemagne fesait de son abandon une condition d'entrée de l'Islande en Europe. Ce dossier avec l'agriculture fut des points principaux à résoudre. Mais le dossier a été retiré. L'Islande miserait désormais sur les effets du réchauffement climatique qui ouvrira des routes maritimes au Nord, des capacités de forage pétrolier, la remontée d'espèces de poissons vers le Nord, avec une Islande qui entre peu dans les accords internationaux, comme celui sur les accords de maquereaux. La crise ayant fait chuté sa monnaie, celle-ci a encouragé les exportations de la pêche et son tourisme. 
Les émissions de gaz à effet de serre auraient augmenté de 25 % dans un pays où la production d'électricité est renouvelable.

 

Indices

Les classements environnementaux et sociaux de l'Islande illustrent combien l'analyse d'un pays ne peut se faire qu'en analysant les interrelations entre indicateurs, voire en trouvant de nouveaux indicateurs pour témoigner d'une nouvelle gouvernance et d'un développement durable.

En 2009, l'indice de développement humain (IDH) du Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD), composite d'éléments associant le niveau de vie, l'espérance de vie, le niveau d'éducation, basé sur des chiffres de 2007, avant l'éclatement en 2008 de la crise islandaise, classait l'Islande à la troisième place des pays à IDH très élevé. (P185 - P189)
En 2015, l'indice de développement humain situe l'Islande à la 10ème place mondiale

En 2010, l'indice de performance environnementale (EPI), constitué par des experts environnementaux de Yale et Columbia Universities, examinant plusieurs paramètres environnementaux (du climat à la biodiversité, en passant par des pollutions de milieux, la vitalité des écosytèmes, la santé, etc) et publié tous les deux ans depuis 2006, classe, à partir de données antérieures à 2009, l'Islande au premier rang. Voir EPI de l'Islande - Voir classement mondial de 163 pays  
Le classement de 2016, situe l'Islande à la 2ème place mondiale.

En 2010, le PIB islandais se chiffrait à 9.6 milliards d'euros. Il a enregistré une chute de près de 7 % en 2009, puis de 3.5 % en 2010. Mais les prévisions pour 2011 misaient sur une croissance de cette économie, située entre 3 et 9 %, avec un quart du PIB islandais détenu par des investisseurs étrangers. En 2017, il se situe à la 107ème place par le classement du FMI.

PIB Islande

En 2014, après un plan drastique sur l'endettement, des impôts en croissance, des aides sociales et des diminutions de dépense, le PIB serait en croissance de 2.7 %, le taux de chomage diminue de près de 10 % à 5 %.

En 2016, une croissance de 7.5 % et un taux de chômage à 2.6 %.

Vigilance : La pêche dans les mers et océans, l'énergie issue des éléments de la nature, le tourisme des espaces dits naturels, seraient le trépied de son futur. L'Islande devra donc se souvenir pour qu'il soit durable, que chacun de ces éléments dépendra de son attention à la qualité des écosystèmes, à leur capacité de renouvellement, aux limites de tout pays, particulièrement état insulaire.

**Yves Pozzo di Borgo, Monique Papon, Pierre Martin

photo : Panneau islandais ©Régis Fialaire