Il n'y a plus de temps à perdre

"Empreinte...carbone"

Tribune. La crise profonde que nous traversons actuellement ne doit pas nous faire oublier les enjeux du changement climatique, très lourds par leurs conséquences présentes et à venir pour nos sociétés.

Tribune parue dans La Croix.fr
Par Michel Badré, vice président du CESE, Jean Jouzel, climatologue, personnalité qualifiée au CESE, Madeleine Charru, agroéconomiste, personnalité associée du CESE, Guillaume Duval, journaliste, personnalité qualifiée au CESE, et Anne-Marie Ducroux, présidente de la section de l’environnement du CESE

 

Cinq ans après l’Accord de Paris, les incendies géants en Australie et au Brésil ou encore les températures exceptionnelles de l’hiver 2019-2020 ont montré l’ampleur et la gravité du bouleversement en cours. La France se trouve à la croisée des chemins en matière de politique climatique. Pour sa part, le Conseil économique social et environnemental (CESE), troisième assemblée de la République, a constamment incité depuis dix ans les pouvoirs publics à faire plus et mieux en matière climatique. Après un long processus de consultation, le gouvernement doit adopter dans les prochains mois, avec beaucoup de retard, deux textes de référence : la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour 2019 à 2028.

Parallèlement la Convention citoyenne pour le climat va rendre ses préconisations dès que la situation sanitaire le permettra.

Faire mieux et plus

Dans le domaine climatique ce ne sont pas tant les discours qui comptent que les actes et la capacité d’enclencher, ici et maintenant, l’indispensable transformation de nos modes de production et de consommation. Or sur ce terrain, les politiques publiques n’ont pas été à la hauteur de l’enjeu au cours de la dernière décennie. Il y a urgence à rattraper ce retard.

Depuis 2005 la France s’est donnée en effet comme objectif de diviser par 4 ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 par rapport au niveau de 1990. Cet objectif avait été confirmé lors du Grenelle de l’environnement en 2007 puis par la loi de 2015 sur la Transition énergétique et la croissance verte (LTECV). Cette ambition fait donc l’objet d’un large consensus depuis quinze ans déjà. Pour autant sa mise en œuvre est restée très problématique.

Les premières feuilles de route climatiques couvraient les années 2016-2018. Les résultats ont été très limités : les émissions de gaz à effet de serre n’ont quasiment pas diminué dans les domaines essentiels que sont les transports, les bâtiments ou le système agroalimentaire.

La France est aussi aujourd’hui le deuxième pays d’Europe le plus en retard en matière de déploiement des énergies renouvelables par rapport aux objectifs que nous nous étions fixés pour l’année 2020. Seuls les Néerlandais sont plus en retard que nous alors que onze des vingt-sept pays de l’Union avaient déjà dépassé leurs objectifs dans ce domaine en 2018.

L’empreinte carbone reste trop élevée

La France reste certes un des pays développés qui émet le moins de gaz à effet de serre sur son territoire du fait de la place du nucléaire dans la production d’électricité, mais elle est aussi un de ceux où ces émissions baissent le moins. De plus, l’empreinte carbone (qui inclut également les émissions importées), autrement dit la vraie mesure de notre impact sur le climat, n’a quasiment pas diminué depuis vingt ans et reste six fois plus élevée que le niveau qu’il faudrait atteindre en 2050.

Les projets de feuille de route climatique, en cours de finalisation, ne font que reprendre pour les prochaines années les objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre que nous n’avions pas réussi à atteindre depuis 2015.

Parallèlement, il est vrai que le gouvernement a renforcé les objectifs à long terme en visant la « neutralité carbone » en 2050, ce qui implique une division au moins par six de nos émissions. Une ambition pertinente même si l’atteinte de cet objectif pose des questions non résolues, comme notamment la capacité des écosystèmes, et principalement de la forêt et des prairies, à absorber suffisamment de CO2.

Des politiques volontaristes dès aujourd’hui

Mais le renforcement de cet objectif à trente ans ne peut et ne doit en aucun cas se substituer à la mise en œuvre de politiques volontaristes dès aujourd’hui.

Or, à la suite du mouvement des « Gilets jaunes », les pouvoirs publics ont décidé de stopper la hausse prévue de la Contribution climat énergie (CCE), plus connue sous le nom de « taxe carbone », destinée à limiter l’usage des énergies fossiles. Dans un esprit de justice sociale, sa mise en œuvre aurait dû, certes, être accompagnée de mesures fortes pour en compenser les effets sur les personnes les plus touchées, notamment dans les zones rurales et périurbaines.

Les ressources issues de la taxe carbone n’auraient pas dû non plus alimenter le budget général pour compenser la baisse d’autres impôts : il aurait fallu les affecter en priorité à accélérer le passage à une société bas carbone.

Aucun effort budgétaire significatif prévu

Sans elle, réduire nos émissions de gaz à effet de serre nécessiterait de renforcer les réglementations ou d’augmenter les soutiens publics aux économies d’énergie et aux énergies renouvelables. Mais pour l’instant, aucun effort budgétaire supplémentaire significatif ni aucun renforcement réglementaire d’ampleur n’ont suivi l’arrêt de la hausse de la taxe carbone.

Dans la feuille de route climatique en cours de finalisation, les objectifs annoncés avant l’abandon de cette hausse sont restés inchangés, alors que l’incitation forte qui devait résulter de cette progression de la taxe carbone a disparu : c’est ce qui a poussé notre assemblée à émettre des doutes sur la sincérité de cette programmation. Le CESE s’inquiète en particulier de la faiblesse persistante des moyens engagés pour accélérer la rénovation énergétique des bâtiments et l’élimination des « passoires thermiques ».

La France a perdu cinq ans

Nous sommes évidemment conscients que les efforts que nous pouvons consentir seront insuffisants pour limiter le réchauffement à 2 °C, comme le prévoit l’accord de Paris, si tous les pays ne s’y mettent pas également à un rythme suffisant. Pour autant, il faut prendre dès maintenant notre part à l’effort planétaire.

Depuis 2015, nous avons quasiment perdu cinq ans pour enclencher en France une transition énergie climat au niveau nécessaire. Les mesures exceptionnelles qui devront être prises pour relancer et reconfigurer notre économie après la crise du Covid 19, doivent être l’occasion de rattraper ce retard. Il n’y a plus de temps à perdre pour le climat.

 

(1) Michel Badré et Jean Jouzel, rapporteurs de la résolution du CESE "Accord de Paris et neutralité carbone en 2050 : comment respecter les engagements de la France ?", Madeleine Charru et Guillaume Duval rapporteurs de l’avis du CESE « Climat-énergie : la France doit se donner les moyens », préparés au sein de la section de l’environnement.